Jérôme MICHEL

© Emilie Traverse

La série Œcoumène d’Emilie Traverse est faîte d’archipels, de potentiels d’images des mondes, passés, présents et à venir, où l’émergence des dynamiques provient de la lecture des images, lorsque chacune devient un objet partiel présupposant un rapport dont il dérive.

Comment fonctionne une image ? Comment une image peut-elle fonctionner avec une autre, avec un ensemble ou avec d’autres ? Telle est l’ambitieuse réflexion qu’elle tente de mener. Et sans retenue ni pudeur, elle nous invite à reconsidérer la valeur d’autonomie trop rapidement donnée aux images photographiques, pour la réassigner aux signes, aux espaces, et aux écarts.

Confrontations d’images au premier regard hétéroclites, juxtapositions indicielles, ou rapprochements formels ; images seules, diptyques, triptyques ; formats de toutes tailles ; supports différents : contrecollages, affichages ; telle est l’allure de ce travail, toujours en mouvement. Mais ce surgissement d’associations précaires à première vue, d’accords qu’on pourrait croire formés au hasard, à y regarder de plus près sont d’une efficacité redoutable. À la seconde lecture, ce sont hiatus, faux raccords, césures, coupures et déchirures, intervalles et écarts qui se composent formellement, mais aussi par allégories : dans le plan de l’image et dans les espaces auxquels ils renvoient ; du passage d’une image à une autre par un jeu de liens formels ou symboliques ; ou encore aux temps et aux lieux auxquels se réfèrent les sujets.

De lignes discontinues en éléments disjoints, de figures en paysages, de détails en grands travaux, c’est tout le monde connu, cette terra cognita, qu’Emilie Traverse convoque, reconstruit, comme un équilibriste sur une ligne ténue, disposant, ajustant, reconsidérant chaque chose, chaque sens et chaque signe à l’aune des autres, c’est-à-dire de ceux qui s’ajoutent au fur et à mesure de ce perpétuel agrégat, comme à ceux qui adviennent avec lui.

Il s’agit bien de niveaux de lecture qu’Emilie Traverse manie avec dextérité, et à la manière d’un peintre tel que Shirley Jaffe, elle dissimule et dilue conjugaisons, ligatures, liaisons, accords et ponctuations entre les signes, investissant les relations entre signifiant et signifié. Elle nous pousse à voir le contexte, à nous poser la question de la complexité, à regarder autour de chaque chose, à penser qu’elles n’existent jamais seules et qu’elles cohabitent. Ainsi après chaque excitation rétinienne induite chez nous comme par le déchiffrement de hiéroglyphes inconnus, le sens se construit entre les liens, entre les images, entre chaque ensemble, entre les choses. Et c’est à l’intérieur de ces écarts que l’artiste travaille, car elle est une faiseuse d’interstices au doigté tantôt délicat, aux ongles tantôt grinçants, qui toujours nous renvoie à nous poser cette question : et si c’était à l’intérieur de cet « écart entre » que naissaient les choses ?


Jérome Michel,
nov. 2012